Un mot d’explication sur la langue et la grammaire du Coran

Dr. Abd al-Hakim Radi, Professeur de littérature arabe, de critique littéraire et de rhétorique à la Faculté des sciences humaines de l’Université du Caire et membre de l’Académie de la langue arabe au Caire

Frère Jean Druel, directeur de l’Idéo et chercheur en histoire de la grammaire arabe

icon-calendar Mardi 10 septembre 2019

Lors d’une conférence qu’il a donnée au mois de novembre dernier, le frère Jean Druel a esquissé une histoire de la langue arabe, en lien avec les autres langues sémitiques. Il a abordé la question du statut de la langue du Coran et son lien avec les autres phases historiques de la langue arabe, mettant en avant quelques-unes des spécificités de chacune de ces phases successives qui coexistent aujourd’hui dans l’usage.

Lors de ce séminaire, le Dr. Abd al-Hakim Radi a souhaité répondre à cette conférence du frère Jean, en s’attardant en particulier sur le statut de la langue du Coran et de son éloquence spécifique, qui culmine dans la question du miracle linguistique du Coran. Il a également abordé la question de la grammaire normative de la langue arabe et de son autorité pour juger la langue coranique. Il a expliqué que ce qui, dans le Coran, violait les règles de la langue arabe pouvait recevoir une justification authentiquement arabe, sans aucune contradiction grâce à la flexibilité de la langue arabe et à la diversité de ses dialectes anciens, qui sont tous authentiquement arabes et éloquents. Il a aussi expliqué que les savants musulmans ont largement traité de ces questions dans le passé.

Au final, la différence entre les deux chercheurs est que le frère Jean Druel aborde ces différents états de la langue arabe du point de vue de leur succession historique tandis que Dr. Abd al-Hakim Radi considère cette diversité linguistique au sein d’une langue unique sans histoire et sans développement.

Le mot āmīn en arabe

Jean Druel

Directeur de l’Idéo

icon-calendar Mardi 7 novembre 2017

Dans son bref traité intitulé Une lueur dans le débat sur le mot āmīn utilisé dans la supplication et ses règles en arabe, Ibn al-Ḫaššāb al-Baġdādī (m. 567/1172) présente l’état de l’art de la connaissance grammaticale sur le mot āmīn à son époque. Tous les grammairiens reconnaissent que āmīn n’est pas un mot arabe mais hébreu (ou persan, ou syriaque), alors même qu’il est bien attesté dans le Ḥadīṯ : le Prophète et ses compagnons concluaient la récitation de la première sourate, al-Fātiḥa, par āmīn. Cette situation a provoqué la curiosité des commentateurs coraniques et des grammairiens, qui ont étudié les questions suivantes : la validité des deux formes, longue et courte (āmīn et amīn) ; la catégorie grammaticale à laquelle appartient āmīn ; sa signification ; et la possibilité que āmīn soit un nom de Dieu.

Les grammairiens se sont mis d’accord pour analyser āmīn comme un ism fiʿl « nom de verbe » (une catégorie renvoyant aux noms propres des verbes, voir Levin 1991), en s’appuyant sur un commentaire de Muǧāhid (m. 104/722) et ʿIkrima (m. 105/723) selon lequel le duel dans le verset Qad uǧībat daʿwatukumā (Q10, Yūnus, 89) désigne l’invocation de Moïse et d’Aaron, et que l’invocation d’Aaron se résumait à āmīn. Afin que āmīn soit une invocation, il faut que ce soit une phrase complète. Cela signifie que le mot āmīn est comparable à ṣah « chut ! », qui est un « nom de verbe » dont le sens est l’impératif « Tais-toi ! » Les grammairiens ont donc interprété āmīn comme étant un « nom de verbe », et sa signification est Allāhumma staǧib « Seigneur, réponds ! »

Enfin, bien que quatre ḥadīṯs transmis par Hilāl b. Yasāf (ou Yisāf), Muǧāhid et Ḥakīm b. Ǧābir mentionnent que āmīn est un nom de Dieu, cela est contesté par Abū ʿAlī al-Fārisī (m. 377/987) et Ibn al-Ḫaššāb (m. 567/1172), mais pour des raisons différentes. Le premier dit qu’un nom invariable ne peut pas être un nom de Dieu, tandis que pour le second, c’est parce que āmīn est une phrase complète qu’il ne peut pas être un des noms de Dieu.

Je crois en Dieu ! — Moi non plus

Jean Druel, Je crois en Dieu ! — Moi non plus, Paris, Éditions du Cerf, 2017, 160 pages.

Introduction aux principes du dialogue interreligieux

Le drame de notre époque, c’est qu’elle a cru qu’en faisant taire les religions et les croyants elle aurait la paix. Elle a pensé que l’étude historique des dogmes et des pratiques allait neutraliser le potentiel de violence des religions. Or c’est le contraire qui est arrivé. Plus que jamais, nous avons besoin de dialoguer, de se confronter à nos propres croyances et à nos propres récits. De devenir adultes dans la foi, libres et heureux d’être différents. Si l’on respecte quelques règles simples, comme celle de prendre au sérieux son interlocuteur, de l’écouter jusqu’au bout sans s’énerver, et de dire vraiment ce qu’on pense, on peut dépasser nos peurs réciproques et vivre mieux ensemble. Si ce livre peut vous mettre sur cette voie, il aura réussi son pari.

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La réception du Kitāb de Sībawayh en Occident

Jean Druel

icon-calendar Septembre 2015 ‒ septembre 2020

Couv SibawayhDans sa thèse de doctorat (1992, publiée en 1995 sous le titre Les voies de la transmission du Kitāb de Sībawayhi, Brill) Geneviève Humbert a révélé l’existence d’un parchemin d’Afrique du Nord (Kairouan ?) du  Kitāb de Sībawayh, daté probablement du 5e/11e siècle. C’est un parchemin très rare qui contient en gros un sixième du Kitāb (les chapitres 327 à 435 de l’édition Derenbourg).

Geneviève Humbert a étudié de façon très détaillée l’histoire de la transmission du Kitāb, aussi bien en Orient qu’en Occident et, selon elle, ce parchemin contient une version du Kitāb assez différente de la version « officielle » mise en circulation par al-Mubarrad (m. 285/898). En particulier, il semble que le « corpus canonique des gloses internes » que l’on trouve dans tous les autres manuscrits n’ait pas intégré son matn.

Voici, toujours selon Geneviève Humbert, les noms des grammairiens andalous qui ont joué un rôle important dans la transmission du Kitāb en Occident.

  • Abū ʿAbd Allāh Muḥammad b. Yaḥyā al-Rabāḥī (m. 358/969) qui a rapporté en Andalousie un exemplaire du Kitāb qu’il avait lu au Caire devant Abū al-Qāsim Ibn Wallād (le frère d’Abū al-ʿAbbās, m. 332/944) et Abū Ǧaʿfar al-Naḥḥās (m. 338/950?).
  • Abū Naṣr Hārūn b. Mūsā (m. au début du 5e/11e siècle), qui a étudié avec al-Rabāḥī (m. 358/969) et Abū ʿAlī al-Qālī (m. 356/967), et dont la version du Kitāb a beaucoup circulé en Andalousie.
  • Abū Bakr ʿAbd Allāh b. Ṭalḥa al-Yābūrī (m. 517/1123) qu’al-Zamaḫšarī (m. 538/1144) a rencontré à la Mecque et avec qui il a comparé son exemplaire du Kitāb.
  • Ibn Ḫarūf (m. vers 609/1212) a trouvé l’exemplaire d’Abū Naṣr Hārūn b. Mūsā et l’a comparé avec un exemplaire personnel d’Abū ʿAlī al-Fārisī (m. 377/987) qu’il avait trouvé en Syrie.

Dans cette recherche, Jean Druel ne s’intéressera pas à la transmission du texte comme le fit Geneviève Humbert, mais aux enseignements grammaticaux qu’on peut tirer de cette différente version du texte. Ce parchemin particulier contient-il des lectures significativement différentes ? Jette-t-il une lumière nouvelle, non pas seulement sur la réception du Kitāb, mais sur les enseignements de Sībawayh ?

Jean Druel, o.p.

ID201410Jean Druel est français et vit au Caire.

Après un Master de théologie et de patristique copte (L’expérience spirituelle de saint Pachôme…, Institut catholique de Paris, 2002), il a suivi une formation de professeur d’arabe à l’Université américaine (Master obtenu en 2006, Emphatic sounds in educated Cairene Arabic).

En 2012, il a soutenu sa thèse de doctorat en histoire de la grammaire arabe à l’Université de Nimègue, aux Pays-Bas, sous la direction du Pr. Kees Versteegh (Numerals in Arabic grammatical theory).

Il a dirigé le Projet des 200 (2013‒2016), projet dont le but était la contextualisation historique des œuvres de 200 auteurs du patrimoine arabo-musulman. Il a ensuite dirigé l’Idéo de 2014 à 2020. Il travaille actuellement à l’étude d’un manuscrit inédit du Kitāb de Sībawayh (180/796?).

Publications en grammaire arabe :