Séminaire mixte Azhar-Idéo
icon-calendar Lundi 27 novembre 2017
Une nouvelle séance du cycle de rencontres organisées dans le cadre de la collaboration entre l’université d’al-Azhar et l’Idéo et visant à examiner la question de l’extrémisme a eu lieu le lundi 27 novembre 2017 à la Faculté des sciences humaines (jeunes filles) sur le thème du littéralisme.
Trois interventions représentant les deux côtés ont été données.
Khalil Mahmoud, assistant au Département d’islamologie de la Faculté des langues et de traduction (garçons), a commencé par aborder les traits caractéristiques de la lecture extrémiste du texte coranique ainsi que les nombreuses interprétations erronées et déviations qui pourraient naître de tout travail qui ne tient pas compte des exégèses du Noble Coran. Il a ensuite mis en garde contre l’ignorance et la négligence de quelques éléments fort importants dans la compréhension du message divin ; tels que le cadre conceptuel, le cadre contextuel, en plus des causes et des circonstances de la révélation des versets coraniques. Il a également tenté de mettre la lumière la faiblesse de la lecture littéraliste des textes fondamentaux en l’absence d’une théorie suffisante dans l’exégèse.
Frère Jean Druel, directeur de l’Idéo, a ensuite pris la parole pour approcher le sujet en partant d’une lecture d’un article de Gilles Dorival (Professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille et spécialiste de l’Histoire des traditions bibliques) sur l’interprétation biblique pour se poser d’office des interrogations fort importantes : qu’est-ce qu’interpréter veut dire ? Le lecteur intervient-il ou non dans la construction du sens ? Peut-il s’appuyer sur ses connaissances personnelles ? Partant de Théagène de Rhégium (VIᵉ av. J.-C.), qui fut l’un des premiers à poser la question de l’interprétation, face aux poèmes homériques, et à en proposer une exégèse allégorique. Ces textes recèlent plusieurs sens : un sens premier apparent et plusieurs types de sens caché que le lecteur est invité à construire. Dans la même perspective, et toujours autour de la question de l’interprétation, le frère Druel évoque l’apport de Philon d’Alexandrie (Iᵉʳ s. ap. J.-C.) pour la mise en œuvre de l’exégèse allégorique à la Bible, exégèse qui permettait d’évacuer certaines difficultés du sens littéral. Selon ce dernier, le sens allégorique vient compléter et enrichir le sens littéral. Par ailleurs, le frère Druel rappelle aussi la pensée de Cassien (Vᵉ siècle) à propos des fondements de l’Écriture sainte et la richesse de la doctrine spirituelle des quatre sens ou niveaux de lecture que proposent le judaïsme et le christianisme : littéral, allégorique, tropologique et anagogique. Il termine sa réflexion en attirant l’attention du public sur les faits suivants : il n’y a pas de sens indépendamment du lecteur. Le sens littéral lui-même n’est pas immédiat, il est à construire et ceci nécessite le déploiement des outils et des connaissances adéquats, tenant sans cesse compte de l’évolution des mots et des connotations. Autant de choses qui permettraient d’éviter l’appauvrissement du sens et le littéralisme qu’il qualifie de « maladie de l’interprétation ».
Mlle Merihan Ali, assistante au Département de langue et de littérature françaises et d’interprétation, a commencé sa communication par une définition de la notion du littéralisme et une distinction entre cette dernière et une autre notion limitrophe, la littéralité. Elle a choisi de diviser son exposé en trois parties représentants les trois champs d’application de la notion étudiée. Premièrement, le littéralisme et la doctrine islamique où elle a mis l’accent sur l’importance des lectures et des raisonnements critiques (iǧtihād) pour trouver la voie d’une fidélité qui ne soit pas aveugle aux évolutions du temps et à la diversité des sociétés. Deuxièmement, le littéralisme et l’interprétation coranique où elle avancé un nombre d’exemples de traduction littéraliste de quelques versets coraniques et de textes de la Sunna, afin de montrer l’effet néfaste de toute interprétation mal fondée qui viserait à émettre des avis jurisprudentiels sans posséder les compétences nécessaires. Et troisièmement, le littéralisme et l’interprétation bibliques, où elle a mis l’accent sur l’allégorie en tant que procédé d’interprétation de l’Écriture biblique largement employé par les exégètes juifs et chrétiens au cours des siècles.
Elle a ensuite terminé ses propos en concluant que même si la véracité de la Parole divine est absolue, il n’en découle pas que nous ayons accès à cette vérité. Ce n’est que par le moyen d’une lecture objective du texte suscitant une pluralité d’interprétations et cédant la place à la raison, la méditation et l’iǧtihād que l’on peut dégager l’esprit de la révélation divine.
Les trois interventions ont donné lieu à une discussion très riche au cours de laquelle Mme le professeur Roqaya Gabr a rappelé l’importance du travail de regroupement et de traduction, effectué par un groupe de spécialistes, dans le cadre d’un projet du ministère des Waqfs, des travaux des exégètes accrédités par al-Azhar : al-Montakhab, la Sélection dans l’exégèse du Saint Coran, arabe-français en 4 volumes. La première version d’al-Montakhab a été éditée en 1997 par le Conseil supérieur des affaires islamiques affilié à al-Azhar.
Pour sa part, le frère Rémi Chéno a loué cet effort de la part d’al-Azhar tout en attirant l’attention sur la nécessité de respecter l’ouverture d’un texte et d’accepter le fait qu’il se prête à de multiples interprétations.
Prof. Sahar Samir Youssef, responsable de la Section française, Faculté des sciences humaines (jeunes filles)