L’héritage d’al-Fārābī (m. 339/950) dans la pensée philosophique en Andalousie

Aziz Hilal

Professeur en philosophie arabe

icon-calendar Mercredi 3 octobre 2018

Muḥammad ʿĀbid al-Ǧābirī (m. 2010) soutenait l’idée d’une coupure épistémologique entre la pensée philosophique entre l’orient et l’occident arabes. La pensée en orient aurait sombré, surtout avec Avicenne (m. 428/1037), dans le gnosticisme, voire l’irrationalisme. Celle de l’occident arabe aurait marqué l’aboutissement de la tradition rationaliste en terre d’islam, en particulier avec Ibn Bāǧǧa (m. 533/1139) et Averroès (m. 595/1198). Cette vision simpliste oublie l’influence qu’al-Fārābī (m. 339/950) a eue en Andalousie. Cette influence se manifeste clairement dans la philosophie politique d’Ibn Bāǧǧa, en particulier dans son traité Tadbīr al-mutawaḥḥid, dans le commentaire de la République de Platon par Averroès, ou encore dans le traité Ḥayy b. Yaqzān d’Ibn Ṭufayl (m. 581/1185). Bien que celui-ci se déclare avicennien dans son traité et n’hésite pas à critiquer — de manière injuste — al-Fārābī, on peut affirmer qu’il existe entre Ḥayy b. Yaqzān et la pensée d’al-Fārābī une identité de propos et de structure. Ibn Ṭufayl est tellement redevable à la philosophie politique du « second maître » que cela rend bien étrange le traitement expéditif qu’il lui réserve dans l’introduction de son traité.

Ce qui compliquait la réception d’al-Fārābī en Andalousie, c’est qu’il croyait encore, comme tout l’Orient, que le traité connu sous le nom de Théologie d’Aristote (une traduction plus ou moins fidèle d’une partie des Ennéades de Plotin) était vraiment d’Aristote, d’où sa tentative désespérée pour réconcilier ce texte néo-platonicien avec ce qu’il connaît d’Aristote. C’est Averroès qui démasque définitivement la confusion. Par exemple, à la différence d’al-Fārābī, Ibn Bāǧǧa puis Averroès conçoivent l’intellect agent comme quelque chose d’immanent à l’homme. Chez ces deux auteurs, l’intellect agent n’est plus cet intellect transcendant et complètement séparé, qui s’ajustait parfaitement avec la théorie farabienne de l’émanation héritée du néoplatonisme.