Noëmie Lucas
Doctorante à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne
Lundi 30 avril 2018Dans son ouvrage Ansāb al-ašrāf, al-Balāḏurī (m. 279/892 ?) transmet l’épisode de la construction du canal al-Mubārak par le gouverneur de l’Irak Ḫālid b. ʿAbd Allāh al-Qasrī (m. 126/743), qui a été loué par le poète al-Farazdaq (m. 110/728 ?) puis finalement moqué par lui, pour se venger de ce que Ḫālid ne lui a pas donné de récompense pour sa louange initiale. Al-Farazdaq a été emprisonné pour cet affront, puis finalement relâché par grâce du calife Hišam b ʿAbd al-Malik (r. 724‒743), après qu’il lui a rédigé des vers de louange.
Le texte d’al-Balāḏurī intègre les fameux vers dans sa narration historique en prose, au point qu’on peut se demander si les passages narratifs ne seraient pas en réalité la contextualisation historique des vers, alors même que les chercheurs ont tendance à considérer ces vers comme une simple illustration de la prose historique.
Cette impression est renforcée par exemple par la contextualisation différente qu’Abū al-Faraǧ al-Aṣfahānī (m. après 362/972) donne des mêmes vers dans son Kitāb al-aġānī.
La réalité est probablement entre ces deux visions extrêmes, l’une qui ferait de la poésie une simple illustration de la narration historique et l’autre qui ferait de la narration historique un commentaire de la poésie citée. La poésie joue un rôle majeur dans les cultures pré-islamique et islamique, elle fait et défait les réputations, elle enregistre les évènements, elle construit l’histoire, elle s’appuie sur l’autorité de personnages craints et respectés, elle a un rôle esthétique… En un mot, elle ne fait qu’un avec le texte et c’est en tenant les deux ensemble, vers et prose, qu’il faut lire et interpréter ces sources historiques anciennes.